Forêt de Bois-d’Arcy, 28 avril 2024

« Vad’rouille » printanière en forêt de Bois d’Arcy aux Clayes-sous-Bois (Yvelines, FR)

Compte rendu de la sortie mycologie organisée le 28 avril 2024 pour l’Association des Naturalistes des Yvelines (ANY ; https://www.siteany78.org/)

Frédéric Suffert

Université Paris-Saclay, INRAE, UR BIOGER, 91120 Palaiseau, France

frederic.suffert@inrae.fr

Partir en « vad’rouille » un 28 avril – seulement deux jours après le jour des « Robigales », fêtes du dieu romain Robigus – était une évidence ! Dans l’antiquité il était d’usage de sacrifier en l’honneur de ce dieu un animal roux pour que les cultures de céréales soient épargnées par les attaques de rouille. En ce dimanche, nous aurions plutôt été tentés d’invoquer Robigus pour que les rouilles, à l’inverse, daignent nous gratifier de leur présence aux Clayes-sous-Bois ! Les craintes avaient en effet été confirmées par la reconnaissance effectuée la veille : les rouilles printanières étaient plus précoces que l’année précédente, probablement à cause d’une fin d’hiver particulièrement douce. Certaines espèces trouvées à la même période en 2023 (Suffert, 2023) étaient ce jour sur le déclin, voire invisibles. Qu’à cela ne tienne, un parcours « élargi » nous a permis de faire quelques nouvelles découvertes intéressantes.

Trajet de découverte des rouilles aux Clayes-sous-Bois (point GPS de départ : 48.8158 1.9892). Les numéros font référence à la liste des 25 espèces identifiées plus bas.

Au total nous avons croisé près de 25 micromycètes, focalisant notre attention sur les rouilles :

1. Puccinia lagenophorae ex Bellis perennis et Senecio vulgaris (rouille)
2. Puccinia caricina var. ribesii-pendula ex Carex pendula (rouille)
3. Taphrina padi ex Prunus padus
4. Uromyces dactylidis ex Ficaria verna (rouille)
5. Puccinia albescens ex Adoxa moschatellina (rouille)
6. Puccinia caricina s. l. ex Ribes rubrum (rouille)
7. Kuehneola uredinis ex Rubus fruticosus (rouille)
8. Entyloma ficariae ex Ficaria verna
9. Septoria ficariae ex Ficaria verna
10. Phaeobotryosphaeria visci ex Viscum album
11. Melampsorella symphyti ex Symphytum officinale (rouille)
12. Puccinia poae-nemoralis ex Poa nemoralis (rouille)
13. Uromyces hyacinthi ex Hyacinthoides non-scripta (rouille)
14. Puccinia sp. ex Luzula sp. (rouille)
15. Melampsora aecidioides ex Populus alba (rouille)
16. Milesina dieteliana ex Polypodium vulgare (rouille) + larve blanche de Mycodiplosis sp.
17. Uromyces ficariae ex Ficaria verna (rouille)
18. Milesina kriegeriana ex Dryopteris dilatata (rouille)
19. Puccinia adoxae ex Adoxa moschatellina (rouille)
20. Melampsora euonymi-caprearum ex Euonymus europaeus (rouille) + larve orange de Mycodiplosis sp.
21. Leptosphaeria acuta ex Urtica dioica
22. Calloria neglecta ex Urtica dioica
23. Synchytrium taraxacum ex Taraxacum officinale
24. Phragmidium violaceum ex Rubus fruticosus (rouille)
25. Puccinia graminis ex Berberis x ottawensis (rouille)

Comme en 2023, nous avons jonglé avec les « stades » (0, I, II III, IV) à partir du cycle de référence de Puccinia graminis pour comprendre le développement des différentes espèces identifiées.

Cycle de la rouille noire du blé (Puccinia graminis), caractéristique des espèces dites « hétéroïques » (alternance sur deux espèces de plante hôte) et « macrocycliques » (présence de l’ensemble des stades 0, I, II, III et IV). Illustration de Jackie Morrison, USDA-ARS.

Puccinia caricina s. l. sur Ribes rubrum.

A la recherche de rouilles dans un pré humide en lisière de forêt.

Parmi les découvertes inattendues, mentionnons Synchytrium taraxacum sur Taraxacum officinale qui, malgré son apparence, n’est pas une rouille.

Synchytrium taraxacum sur Taraxacum officinale.

La physionomie de plusieurs rouilles nous a permis de mettre en exergue le caractère systémique de plusieurs espèces, c’est-à-dire la capacité du champignon parasite à se conserver pendant l’hiver à l’intérieur des tissus végétaux. Cela a été le cas pour deux rouilles de la moscatelline (Puccinia albescens et Puccinia adoxae), malheureusement apparue trop précocement pour qu’elles nous apparaissent aussi photogéniques qu’en 2023. En revanche, les conditions d’observations ont été idéales en ce qui concerne Melampsorella symphyti sur consoude officinale, dont les pustules étaient déjà présentes sur toute la surface inférieure des feuilles, et Melampsora aecidioides sur peuplier blanc, dont les attaques précoces affectaient quelques bourgeons, siège de la conservation hivernale du champignon.

Melampsorella symphyti sur Symphytum officinale.

Melampsora aecidioides sur Populus alba (photo Patricia Pierson).

A proximité des pustules de la plupart des espèces de rouille il fréquent de trouver les larves de Mycodiplosis sp., un petit diptère mycophage. Nous en avons trouvé sur la rouille du fusain d’Europe à Melampsora euonymi-caprearum et sur la rouille du polypode vulgaire à Milesina dieteliana. Constat amusant, mais somme toute logique, la couleur de ces larves est identique à celle des spores qu’elles ingèrent, respectivement orange et blanche.

Larves de Mycodiplosis sp. sur Polypodium vulgare infecté par Milesina dieteliana (spores blanches visible sur la droite).

Larve de Mycodiplosis sp. sur Euonymus europaeus infecté par Melampsora euonymi-caprearum.

La journée s’est terminée avec le « bouquet final » tant annoncé, à l’arrière du Parc de Diane, à savoir la découverte de l’emblématique rouille noire (Puccinia graminis) sur épine-vinette (ici une variété ornementale de couleur rouge), formant des groupes d’écidies au revers des feuilles. Cette espèce de rouille, dont on distingue différentes formae speciales, a pour plantes hôtes principales différentes graminées sauvages et céréales cultivées. Puccinia graminis f. sp. tritici s’attaque notamment au blé, raison pour laquelle les plants de Berberis vulgaris ont fait l’objet de campagnes d’éradication en Europe au siècle dernier dans les haies des régions céréalières… et qu’il y a eu des sacrifices d’animaux roux dans l’antiquité en l’honneur de Robigus ! Le groupe a joyeusement collecté des écidies « pour les besoins de la Science », en particulier pour permettre d’identifier la formae speciale ici présente. Arriver à mobiliser une vingtaine de paires de bras était inespérée ! La rouille noire, suspectée de réémerger en Europe, est scrutée depuis peu par les « urédinoligistes », le nom que l’on donne aux mycologues spécialistes des rouilles.

Ecidies de Puccinia graminis sur Berberis x ottawensis.

Collecte de pustules de Puccinia graminis sur une haie de Berberis x ottawensis.

Vers 17 h, après plus de trois heures de « vad’rouille », les participants à cette sortie se dispersent, des pustules plein les yeux, en se promettant de réviser le « cycle des rouilles » avant la prochaine...

Références

– Elis WN. Plant Parasites of Europe, https://bladmineerders.nl/

– Klenke F, Scholler M. 2015. Pflanzenparasitische Kleinpilze : Bestimmungsbuch für Brand-, Rost-, Mehltau-, Flagellatenpilze und Wucherlingsverwandte in Deutschland, Österreich, der Schweiz und Südtirol. Berlin : Springer-Verlag.

– Suffert F. 2023. A la découverte des premières rouilles printanières en lisière de forêt de Bois-d’Arcy (Les Clayes-sous-Bois, Yvelines, FR). Compte rendu de la sortie mycologie et botanique organisée le 15 avril 2023 pour l’Association des Naturalistes des Yvelines (ANY) https://doi.org/10.5281/zenodo.7840443

– Suffert F, Suffert M. 2022. ‘Phytopathological strolls’ in the dual context of COVID-19 lockdown and IYPH2020 : transforming constraints into an opportunity for public education about plant pathogens. Plant Pathology 71 : 30-42, https://bsppjournals.onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1111/ppa.13430