par Frédéric Della Giusta
Quand on partait de bon matin
Quand on partait sur les chemins
A bicyclette
Nous étions quelques bons copains
Y avait Fernand, y avait Firmin
Y avait Francis et Sébastien
Et puis Paulette
La bicyclette - Yves Montand - Paroles de Francis Lai & Pierre Barouh
La carte du tour
Nous étions de nouveau une trentaine de sportifs réunis ce dimanche matin pour courir le Critérium de l’Étoile Aimable, course mycologique de renommée internationale que le monde entier nous envie, osons le dire ! La carte avait été dévoilée dès l’été dans le programme des sorties, par Étienne, notre directeur de course. On avait remarqué que cette année encore, contrairement à son grand frère le Tour de France, il n’y aurait aucun passage par un pays limitrophe, la totalité de la course se déroulant en Forêt de Marly. Et c’est tant mieux, il y a déjà suffisamment à explorer dans cette remarquable forêt.
Le briefing
On ne se lance pas à l’aveuglette sans un minimum de préparation et d’instructions dans ce genre de course, que dis-je, d’aventure ! Il incombe à chacun, dès l’aube et avant même le rendez-vous, de vérifier son matériel : bottes, panier, ciré, couteau à champignon, etc. Un dernier coup de burette d’huile dans les articulations pour s’assurer que tout roulera au moins jusqu’à l’arrivée programmée pour midi, un café derrière la cravate et hop, nous voilà prêt pour le briefing d’avant course. Étienne présente au peloton les vétérans : Chanh Tha, Jérôme, Frédéric, lui-même, vétérans totalisant quasiment un siècle d’expérience en mycologie, Jérome étant pédalier d’or avec plus de cinquante an à lui tout seul. Respects éternels. On salue ensuite la présence des semi-pros, habitués des sorties, et on souhaite la bienvenue aux juniors, auxquels on promet une longue carrière pour peu qu’ils s’accrochent et s’entrainent dur. Étienne donne quelques mots sur le parcours et ses embuches (attention notamment aux glissades car le sol est mouillé) et indique la direction pour le départ, et... c’est parti !!!
Les supporters
Le peloton s’ébranle doucement dans une joyeuse cohue et s’enfonce dans le bois. A peine avons nous parcouru 10 mètres que l’hélicoptère retransmet à la France entière les images vues du ciel de la première découverte : un Amadouvier, Fomes Fomentarius, pousse à bonne hauteur sur un arbre au bord du chemin. L’endroit semble propice puisque s’enchainent pendant une bonne quinzaine de minutes des va-et-vient incessants des coureurs auprès d’Etienne, avec une nouvelle récolte en main : le Paxille enroulé, Paxillus involutus, des Mycènes roses, Mycena Rosea, et des coulemelles, Macrolepiota procera en quantité gastronomique, et tant d’autres espèces. Personne ne ressent la moindre fatigue, et on reprend la course après cet intermède riche en espèces intéressantes à connaitre.
Une première échappée tente de coller là le peloton, peut-être pour se réserver les plus beaux spécimens de comestibles, mais le peloton recolle bientôt. On change de braquet et on revient à un rythme de progression moins soutenu. C’est pas plus mal me direz-vous, et je ne vous contredirai pas, oh que non.
Le long du parcours, on remarque que les supporters de la course ont campés là pour ne pas en perdre une miette. A moins que ce ne soit des scouts. On ne saura pas. C’est qu’on commence à avoir un peu de notoriété, au point de devoir refuser du monde... un comble.
Le maillot à pois
Et c’est reparti, une bouffée d’hormones reprend un petit groupe au pied d’une forte montée, étape de montagne redoutée qui, par le passé, en a laissé plus d’un sur le carreau. La pente est raide mais la route est droite, avait prétendu Jean-Pierre Raffarin il y a quelques années déjà, au perchoir de l’assemblée. Ici, la pente est raide et le chemin tortueux, et glissant comme une savonnette qui plus est. Bref, c’est pas la joie. Heureusement que ça ne dure qu’une vingtaine de mètres (oui, ok, j’exagère peut-être l’effort, mais y étiez vous pour juger ainsi ?), en tous cas suffisamment pour décerner le maillot à pois, blanc à pois rouges (dois-je le rappeler ?), au vainqueur de cette étape.
Mais diantre, il semble que quelque chose cloche... il flotte comme un parfum de dyslexie... Ah voila, mais c’est bien sûr, le maillot à les couleurs inversées : il est clair qu’il est rouge à pois blanc et non l’inverse. L’Amanite tue-mouches, Amanita muscaria, champignon hallucinogène et non mortel, nous aura joué un de ces tours dont elle a le secret.
Le ravitaillement
La course reprend de plus belle. Du jarret moussaillon, on ne faiblit pas, et on avale les kilomètres en prenant soin de répertorier toutes les espèces rencontrées : 117 en tout, c’est une excellente performance, un décompte qualifiant pour les Jeux Olympiques.
Mais ça creuse tout ça, et arrive le moment du ravitaillement, à peu près à mi-parcours. Des bénévoles attendent là, des paniers pleins, prêts à nous les tendre à notre passage. Merci mon Dieu, c’est un véritable moment de réconfort. Parmi les comestibles du jour, on peut citer : la coulemelle (Macrolepiota procera), des Cèpes de Bordeaux (Boletus edulis), des Laccaires améthystes (Laccaria amethystina), quelques Meuniers (Clitopilus prunulus, et des espèces plus douteuses telles que le Clitocybe nébuleux (Clitocybe nebularis) que la littérature spécialisée moderne classe dorénavant parmi les toxiques.
Le Maillot jaune
Le ravitaillement redonne l’énergie nécessaire à poursuivre et ce, malgré la pluie qui tombe à verse de temps à autre. Encore quelques espèces dans le panier, quelques anecdotes, un peu de science prodiguée à l’occasion, et on aperçoit enfin la ligne d’arrivée. Un dernier sprint, comme un baroud d’honneur, mais fort inutile puisque le peloton arrive groupé sans que la moindre échappée n’ait pu se détacher longtemps, et c’est l’arrivée tant espérée ! Trois heures de course harassante mais tellement enrichissante, et dans une telle bonne humeur ! Merci merci merci, trois fois merci !
Les bonifications des différentes étapes sont comptabilisées, les réclamations sont étudiées avec tout le sérieux qu’elles méritent, et le classement officiel finalement publié sur le parking : le maillot jaune restera finalement porté cette année encore par Bisporella citrina, déjà vainqueur l’an dernier et les huit précédentes éditions... On n’est pas suspicieux mais on a quand même le droit de s’interroger...
La remise de la coupe
Vient le moment de la remise de la coupe au vainqueur, et c’est encore Étienne qui officie. Moment solennel, accolades, applaudissements, il ne manquait que le champagne pour fêter dignement cela. Ou un apéritif miraculeux à base de rhum arrangé, comme Frédéric D’H. nous en gratifie quelque fois. Ca manque. Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que j’en fais la remarque, à bon entendeur, salut !
Contrôle antidopage
L’après-midi, nous nous retrouvons quelques-uns au local de l’ANY à la Villa Chèvreloup au Chesnay-Roquencourt, pour un atelier microscopie et réactifs chimiques macroscopiques. L’idée est ici de vérifier et déterminer les échantillons prélevés lors de la course du matin, soit en les tartinant de tel ou tel réactifs pour observer un éventuel changement de couleur - on aura constaté la teinte rouge vineuse prise par un Cortinaire trouvé la veille et oint de KOH (hydroxyde de potassium, ou simplement "potasse" en mycologie) - soit en les observant au microscope : basides, cystides, spores, c’est un régal pour les yeux.
Aucune infraction à la réglementation n’aura été décelée cette année encore, malgré les suspicions exprimées plus tôt sur Bisporella citrina. Bref, l’honneur est sauf, la réputation du Criterium de l’Etoile Aimable préservée et celle de l’ANY portée encore plus haut au firmament des associations naturalistes. Pour l’ANY, hip hip hip ! hourra !!!