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Forêt domaniale de Beynes - 05 novembre 2023

Sortie mycologique

par Frédéric Della Giusta

Trente-deux. Nous étions trente-deux braves, pas moins, venus ce dimanche matin pour affronter les mystères mycologiques de la forêt domaniale de Beynes. Il flottait encore en ces lieux le parfum sulfureux d’Halloween, fête païenne où l’étrange se mêle au fantastique pour effrayer petits et grands. Des petits, il y en avait, des grands également, et en quantité. Voila qui aurait du nous rassurer. Le nombre suffit parfois à affermir le courage et faire oublier le danger. Quelle folie ! Nous l’allions apprendre à nos dépends, mais bien tard... trop tard !

Une fois l’appel effectué sur le parking près la maison forestière, armés de courage et de paniers d’osier, nous voila partis sur le chemin longeant la dite maison. Après une trentaine de mètres, premier arrêt, premiers émois : dans ce sous-bois sombre et humide, des lépiotes toxiques gardent le chemin : Lepiota ochraceosulfurescens, Lepiota cristata, Lepiota ignivolvata, Lepiota magnispora..., tout le cortège des petites lépiotes toxiques semble s’être rassemblées ici pour nous barrer le passage. Car oui, ces gardiens sont de redoutables champignons que le mycophage (mangeur de champignon) devra éviter à tous prix !

Est-ce l’humidité ? est-ce le froid ? Est-ce cette première rencontre qui glace le sang de chacun ? Nul ne saurait le dire, et qu’importe après tout. Le constat s’impose : la compagnie est agréable mais l’ambiance pesante. On s’effraie soi-même en songeant au reste du périple : trois heures d’excursion dans cette forêt lugubre ? Les voitures sont encore là à un jet de pierres. Ne vaut-il pas mieux rebrousser chemin ? Prétexter un rendez-vous oublié, une douleur à la cheville, un ongle incarné, et finalement faire ce que la raison nous commande : rentrer chez soi au plus vite ? Allez allez, Yves, le Grand Prêtre de cette incursion dans ces bois enchantés, sait trouver les mots et nous redonne le courage nécessaire à progresser vers le sommet de la colline. Hardi petit, l’expédition reprend.

Lepiota ochraceosulfurescens

La progression est difficile. Il nous faut plus d’une heure pour faire les cents ou cent cinquante mètres qui nous séparent de la ligne de crête. En effet, les champignons sont légions. Le sol, calcaire en forêt de Beynes, nous offre de généreuses récoltes et des espèces inconnues dans le reste des forêts argileuses et acides des Yvelines. Des champignons aux couleurs extraordinaires s’offrent à nos regards incrédules : qu’est-ce donc que cet amas jaune-orange sous ce hêtre, là-bas ? Est-ce Une citrouille ? Non, c’est bien un champignon, et des plus beaux : Cortinarius elegantissimus, le cortinaire très élégant. Quelle merveille ! Que d’émotions ! Voila qui redonne la foi et goût à la vie !

Cortinarius elegantissimus

L’émotion évanouie, on reprend lentement notre ascension vers le sommet. Les beautés que nous offre Mère Nature nous ont réchauffé le coeur et vraiment redonné courage. On aurait presque oublié notre angoisse, notre gêne, notre peur du début. L’espoir fait vivre, c’est désormais certain, mais il fait oublier le danger. Adoncques, il faut rester vigilant, les sens en éveil, à l’écoute du moindre bruit suspect, prêt à détaller.

L’atmosphère redevient vite pesante. Il pleut, il mouille, mais ce n’est pas, loin s’en faut, la fête à la grenouille. Ca sent le soufre, ça sent le gaz, les portes de l’enfer ont dû s’ouvrir à notre approche. Mais non, c’est notre esprit qui se joue de nous, notre imagination qui a galopé. Nous longeons quelques réserves souterraines de gaz mais point d’odeur ici, point de risque. De la science et de la technique, du réel et du tangible, ouf !

Nous parvenons enfin, après une heure trente d’une progression laborieuse, dans ce qui semble une clairière, clairière qui laisse passer la lumière du soleil. Du soleil ? Ah ah ah ah ! Aucun rayon de soleil ici pour réchauffer les âmes tourmentées ; un peu plus de cette lumière blafarde que dans le sous bois, certes, mais c’est tout.

Et soudain, la peur revient au galop. La terreur devrais-je dire... On vient de découvrir une pierre couverte de croix et de signes cabalistiques. Une pierre sacrificielle sans doute, un artefact d’un autre monde qui n’aurait jamais dû se trouver ici ! Certains, crâneurs, arguent qu’il s’agit là d’une table d’orientation... On le voit bien, ils ne parviennent pas à se convaincre eux-mêmes. Fuyez pauvres fous !

Table d’orientation

Là, c’en est trop. On prend ses jambes à son cou et on trace tout droit, sans se retourner. On s’arrête pourtant une fois ou deux pour cueillir quelques champignons et remplir le panier : l’Agaric des bois (Agaricus sylvicola) se trouve ici en quantité gastronomiques et c’est bien tant mieux. On mourra peut-être de peur, mais pas de faim, c’est déjà ça. Mais quelle erreur, on aurait été bien inspirés de faire demi-tour pendant qu’il en était encore temps : surgissant de nulle part, un orvet monstrueux (dans les vingt centimètres au garrot, pas moins) nous barre le chemin. Les plus téméraires finissent par chanceler, mais heureusement la bête repart comme elle est venue et nous épargne. Allez comprendre... ou pas. Quoi qu’il en soit, bénissons le ciel et foutons notre camp !

Un orvet gigantesque !

Mais il est écrit que rien ne nous sera épargné ce jour d’hui. C’est un jour funeste, il faut bien l’admettre, et les quelques cèpes de Bordeaux (Boletus edulis) rencontrés ici ou là n’y changeront rien. A peine s’est-on réjoui d’une récolte de comestibles prisés, qu’on croise un redoutable champignon mortel : l’Amanite vireuse robuste (Amanita amerivirosa), importée il y a quelques années des Amériques (comme la fête d’Halloween... tiens tiens... hasard ??? Poser la question est déjà y répondre).

Amanita amerivirosa (mortelle)

Mais bon, il suffit de ne pas manger cette amanite et on ne risque rien. On se rassure décidément comme on peut, mais quand l’esprit menace de défaillir, on n’a guère le choix que de se convaincre que tout ne va pas si mal ou que les choses vont aller en s’arrangeant. D’ailleurs Yves, notre druide, nous indique qu’il est temps d’amorcer une boucle rentrante comme disent nos amis Belges : en gros, il suffit. Direction le parking car bientôt vont sonner les douze coups de minuit... de midi ! On s’imagine de retour en nos doux foyers, sortant poêles et échalotes, pour déguster cèpes, agarics et meuniers (Clitopilus prunulus, dont de généreux bouquets ont été malgré tout récoltés. Une poêle, des échalotes, de la crème fraiche, manque une matière grasse... Comme si l’esprit de la forêt avait lu dans nos pensées, voila qu’au bord du chemin apparait comme par enchantement une trémelle orangée (Tremella aurantia) qui phagocyte un champignon (Stereum hirsutum, la stérée hirsute). Quel rapport me demanderez-vous ? Et bien le nom vernaculaire de ce champignon est, je vous le donne en mille : « le beurre de sorcière » ! Décidément, on n’en sortira pas !

Tremella aurantia

Le champignon est tout de même fort joli, et son nom bien vite oublié pour ne laisser qu’un souvenir amusé d’une forme ressemblant à un cerveau. Un cerveau !!! Que fait-il en dehors de sa boite crânienne ? Aïe, épargnez-moi ces noires pensées, Seigneur ! Une prière récitée en son for intérieur et le courage revient timidement, lentement. On se sait proche de la fin de notre périple, l’idée d’un fin heureuse nous revigore.

Mais c’est quand la vigilance s’abaisse que le danger se jette à notre cou, toutes griffes dehors ! Et en l’occurrence, tous crocs dehors ! Là, barrant la route, une lépiote effrayante nous toise et nous défie, prête à bondir... C’est le déclic, la goute d’eau qui fait déborder le vase, l’hallali. C’est la panique à bord de notre radeau en perdition, la raison quitte les plus forts d’entre nous, c’en est trop. Stop. Assez. Qu’on en finisse, d’une manière ou d’une autre.

Pacman aux dents acérées ! Macrolepiota mastoidea

L’Esprit de la forêt comprend alors qu’il a été trop loin, qu’on ne mérite pas tout ça. En effet, on a scrupuleusement inventoriés tous les champignons croisés, on a même tenté de retenir deux ou trois noms latins parmi les 130 espèces recensées, on a cueilli les cèpes en bon ordre sans s’empoigner, on s’est montré courageux (mmhhh...) autant qu’on a pu pendant ces trois heures malgré toutes les embuches, on mérite de vivre que diable ! Diable ? Oups, non non, je ne l’ai pas dit !

Oui, nos suppliques n’auront pas été veines et sont finalement entendues. Apparait devant nous dans une brume éthérée un ange, une fée, un être de lumière pourvu d’une baguette saugrenue : une coulemelle (Macrolepiote procera) qui, si elle est dotée de pouvoirs en proportion à sa taille, devrait suffire à écarter de nous tout danger, définitivement. Hulahup barbatruc ! d’un coup de baguette magique, les sortilèges s’évanouissent, le soleil revient darder ses rayons sur nos visages rubiconds, toute peur s’efface et disparait. C’est la fin du cauchemar !

Macrolepiota procera - la coulemelle et la fée

Voila. C’était une sortie d’Halloween, plus vraie que (mère) nature. Une excursion qui se sera en réalité déroulée un poil différemment, dans une ambiance plus gaie et chaleureuse bien entendu, et dont tous les participants auront été enchantés.
Enchantés ??? Mouah ah ah ah ah ah !!!

info portfolio

Hypholoma fasciculare Lactarius citriolens (lait jaune) Inocybe godeyi Helvella lacunosa Lactarius citriolens Lactarius deliciosus Lactarius deliciosus Lycoperdon molle Lepiota subincarnata Mycena rosea Marasmiellus ramealis Macrolepiota mastoidea Pholiota tuberculosa Pluteus cervinus Pluteus leoninus Russula sardonia Trametes versicolor le groupe Yves et l'amanite citrine - Amanita citrina Agaricus moelleri Cortinarius elegantissimus Fistulina hepatica Crepidotus variabilis Ganoderma lucidum le groupe Macrolepiota procera - coulemelle en cage Otidea alutacea Suillus luteus - la nonette voilée Cortinarius xanthophyllus Chlorociboria aeruginascens Clitocybe phyllophila Clitocybe nebularis Boletus edulis Amanita muscaria Cortinarius elegantissimus - réaction rouge vineux à la potasse (chair du bulbe) Cortinarius elegantissimus - coupe Cortinarius elegantissimus - réaction rouge vineux à la potasse (chapeau) Cortine protégeant les lames Fistulina hepatica Fistulina hepatica Fomitopsis betulina Helvella crispa Le groupe, 32 personnes Gloeoporus dichrous Fomitopsis pinicola Tapinella atrotomentosa Baside de Lycoperdon molle

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