(Par Étienne Varney)
Ma famille habite dans le Loir et Cher
Ces gens-là ne font pas de manières
Ils passent tout l’automne à creuser des sillons
À retourner des hectares de terre
Je n’ai jamais eu grand chose à leur dire
Mais j’les aime depuis toujours
De temps en temps, je vais les voir
J’passe le dimanche dans le Loir et Cher
Ils me disent, ils me disent
Tu vis sans jamais voir un cheval, un hibou
Ils me disent
Tu ne viens plus, même pour pêcher un poisson
Tu ne penses plus à nous
On dirait que ça te gêne de marcher dans la boue
On dirait que ça te gêne de dîner avec nous
On dirait que ça te gêne de marcher dans la boue
On dirait que ça t’gêne de dîner avec nous
Le Loir et Cher, Michel Delpech
Tôt, ce dimanche matin ; le temps maussade n’empêche pas un public nombreux de visiter un des sites remarquables du parc naturel régional Haute Vallée de Chevreuse.
Site remarquable comme décrit dans l’ouvrage « Curiosités Géologiques du massif de Rambouillet »* :
– Le ru des vaux présente une succession de cascades au milieu d’un chaos gréseux. Les gros blocs formés aux dépens d’une bande gréseuse du sommet des Sables de Fontainebleau (au niveau du plateau). Sables du Rupélien qui témoignent de la dernière transgression marine dans le bassin parisien, il y a 30 millions d’années.
– Le ru jusque-là orienté ONO-ENE forme un coude brusque vers le nord, phénomène expliqué par une capture hydrographique (cluse) qu’on situe au début du Quaternaire.
En raison de ses qualités esthétiques, le site a accueilli de nombreux peintres paysagistes dont le chef de file, Germain Pelouse, a les faveurs d’une statue près de l’étang. Nous passons devant au milieu de notre périple.
Mais, vous me direz (ou pas), que ce guide géologique s’égare à parler du caractère romantique du lieu. Peu importe, le site dégage par sa morphologie, une histoire qu’il est plaisant de remonter.
Il est temps de parler champignons ? J’entends des murmures en ce sens. Aussi, je n’évoquerais pas les théories qui expliquent la formation des grès siliceux ; vous pourrez vous reporter à l’article que j’ai commis : « Promenades en forêt de Fontainebleau, notes mycologiques et géologiques
Je dirais tout de même que ces grès ont été exploités à Senlisse, à quelques kilomètres de là ; roche utilisée pour les pavés parisiens.
Revenons à nos moutons.
Les champignons ne sont pas nombreux en cette arrière-saison ; mais certains ont le plaisir de remplir le panier de Trompette des morts (Craterellus cornucopioides). Du coup, on demande où l’on rencontre cette bonne espèce ?
La chênaie-charmaie (Chut ! ne le répétez pas) : l’occasion de faire (encore !) une digression sur les groupements végétaux et les arbres. Beaucoup de champignons sont associés à une essence d’arbre et aux terrains acides ou pas ; c’est pourquoi, on ne s’intéresse pas qu’aux caractères du champignon mais aussi à son milieu. (Pour certains esprits chagrins qui disent que les mycologues sont sectaires ; si, si, j’ai déjà entendu)
Plus loin, quelques Clitocybes des feuilles (Clitocybe phyllophila) aux lames décurrentes. Cette espèce toxique ressemble à l’estimable Meunier (Clitopilus prunulus) d’autant que les exemplaires dégagent une odeur agréable.
« phyllophila » l’occasion de préciser l’éthymologie : (Grec) : phûllon = feuille, philos = ami ; donc ami des feuilles. François nous confirme cela.
Autre champignon blanc, le Clitocybe en touffes (Leucocybe connatum) dont la chair réagit en bleu noir (d’habitude en violet) au sulfate de fer ; c’est la deuxième occurrence dans l’inventaire des Yvelines !
Sur la rive droite de l’étang, nous nous enfonçons dans l’aulnaie.
Et enfoncer est le terme exact pour une participante qui s’enfonça jusqu’aux genoux dans la vase de ce milieu humide. Bon, a priori, on n’a pas perdu de gens !
L’aulne glutineux (Alnus glutinosa), arbre hygrophile est présent dans les marécages, au bord des eaux. Il supporte des milieux ingrats grâce à deux types de synergies :
– la mycorhization : plus les champignons associés sont diversifiés, plus la protection et la nutrition de l’arbre sont efficaces.
– l’actinorhization, due à des bactéries filamenteuses du genre Frankia (appelées Actinomycètes), qui forment des nodosités faciles à voir (« galles » rouges souvent affleurantes à la surface des racines) ; elles sont fixatrices d’azote atmosphérique et assurent l’alimentation en nitrates de toute l’association.
Les aulnaies sont accompagnées d’un cortège spécifique de champignons supérieurs. Nous ne rencontrons qu’une petite espèce Alnicole jaunâtre (Alnicola escharoides), cf. photos.
En revanche, quelques belles espèces comme la Mycène groupée (Phloeomana speirea), petite Mycène à lames décurrentes qui pousse sur bois mort.
Liste des espèces observées.
Une sortie agréable, occasion d’échanger sur les sujets variés (géomorphologie, grec ancien, botanique mais aussi mycologie !)
Merci aux photographes : Chantal, Christelle, Frédéric S, Frédéric DG, Vincent, Étienne (photos ci-dessous).
En particulier, Frédéric S nous montre quelques micromycètes (champignons dont la fructification n’est visible qu’à la loupe) : sa spécialité, les rouilles qu’il est heureux de rencontrer car certaines peu répandues (une d’entre elles, qu’il voit pour la première fois en Île-de-France ; cf. liste).
* Bétard F., 2022 - Curiosités géologiques : du massif de Rambouillet et de la vallée de Chevreuse. Editeur BRGM.
Un des ouvrages de la riche bibliothèque de l’ANY que nous vous convions de découvrir.
Autres livres acquis récemment, à conseiller pour les champignons :
– Eyssartier G. & Roux P., 2024 - Le guide des champignons - France et Europe, Belin
– Courtecuisse R., 2024 - Guide des champignons de France et d’Europe. Delachaux et Niestlé
– Thomas Læssøe et Jens H. Petersen, 2020, Les Champignons d’Europe tempérée (2 tomes). Biotope (en cours de réimpression)