Par Etienne Varney et Frédéric Della Giusta
Bien peu de femmes
et bien peu d’hommes
Accèdent sans réserve
à la naturelle réserve.
A l’excitation d’entrer
Dans ce lieu interdit
se succède l’angoisse
de n’en jamais sortir !
Trouvera-t-on le graal
Rhodotus palmatus
Rose à l’odeur fruitée
Ou de belles pholiotes ?
Un chêne dardé par un pic
Ou griffé par un fauve
tapi dans l’ombre de la sylve ?
Sortirons-nous indemnes
De l’excursion automnale ?
A un jour prés, nous revoilà comme l’an dernier réunis en ce début novembre au fin fond de la Réserve Naturelle des étangs et rigoles d’Yveline, dans la partie Nord de l’étang de Saint Quentin.
Cyril, notre sympathique hôte, après nous avoir expliqué l’étendue et l’origine de ce réseau d’eau datant de l’époque du Roi soleil, construit afin d’alimenter les bassins du Domaine de Versailles, nous donne accès au saint des saints : il nous ouvre les portes de la très secrète « Réserve naturelle nationale des étangs et rigoles d’Yveline », zone protégée des badauds par une enceinte grillagée. Ce privilège est accordé à L’ANY car notre association inventorie depuis plusieurs années les champignons de St-Quentin.
Tiens, il manque un "s" à Yveline ?! Cyril, encore lui, nous éclaire alors :
Le département tire son nom du pays d’Yveline (ou Iveline), dénomination issue d’une ancienne forêt, dont Rambouillet est le dernier vestige. Un nom qui vient du latin Sylva aequilina, littéralement « forêt gorgée d’eau ». Ce toponyme vient du fait que plusieurs rivières y avaient leur source. Au fil du temps, Aqua est devenu ewe, puis eve et parfois ive, donnant donc Iveline, par la suite écrit avec un y.
Alors, d’où vient ce s ? La création du département des Yvelines a été décidée par une loi du 10 juillet 1964 portant sur la réorganisation de la région parisienne. Charles de Gaulle souhaitait appeler le nouveau département « Versailles ». « Val de Seine » avait également été proposé. Mais c’est le poète versaillais Jehan Despert qui, en 1968, souffle le nom des Yvelines avec un "s" à Jean-Paul Palewski, alors président du Conseil général de Seine-et-Oise. « Avec un s, Yvelines, ça faisait plus riche », expliquera-t-il plus tard. Ce nom sera adopté en Assemblée nationale en 1968. (source : site web Sortir en Yvelines).
Dans les sous-bois, les champignons restent rares avec le temps sec des précédentes semaines. La pluie des deux ou trois jours passés est arrivée trop tard pour déclencher une pousse. De belles rencontres toutefois nous attendent.
On commence par du tout petit : de graciles Marasmius bulliardii avec leurs pieds filiformes greffés sont surpris poussant sur les feuilles de la litière.
De dangereuses Galères marginées, Galerina marginata, (on se réfèrera à la conférence sur les intoxications par les champignons pour en savoir plus) poussent sur des branches mortes jonchant le sol ; on peut la confondre facilement avec la Pholiote changeante, Kuehneromyces mutabilis, comestible fort honorable. Le pied pourvu d’un anneau net reste un caractère déterminant.
De grandes coulemelles, Macrolepiota procera, s’élèvent de plusieurs décimètres parmi les arbustes et branches tombées au sol. On ne pourra malheureusement pas les sortir de la réserve. Ceci dit, elles sont déjà bien "passées", donc impropre à la consommation.
Au détour d’un tronc pourrissant, de belles Pholiotes écailleuses en touffe sur bois mort, ravissent les yeux des participants. Quelle diversité, quelle beauté ! Les novices n’en croient pas leur yeux. Que dire alors du nez, mis à contribution plusieurs fois lors de cette sortie : odeur d’anis pour Agaricus semotus, odeur de topinambour pour Russula amoenolens, odeur d’iode ou d’encre pour Agaricus xanthodermus... C’est l’occasion de rappeler une conférence qui avait ravi les participants : le nez des champignons, qu’on peut consulter sans réserves !
Sur le chemin du retour, après avoir traversé avec difficulté cette partie sauvage où la nature est laissée livrée à elle-même, laissant branches mortes et ronces empêcher tout chemin de se former, on le découvre caché derrière un tronc : le rare, le beau, que dis-je ? le sublime, l’unique, mon précieux : le Rhodotus palmatus à la robe couleur abricot. Son odeur, avec le froid qui engourdit les papilles nasales, n’est malheureusement pas nette. Dommage. Nous sommes toutefois ravis de le rencontrer et pour certains, c’est une première fois qui fera date et qu’ils se remémoreront longtemps avec émotion. Oui, dans nombre d’années ils pourront dire à leur petits enfants, des trémolos dans la voix, le coeur submergé d’émotion : j’y étais, je l’ai vu, je l’ai senti...
Ahhhh, après avoir vu ça, on peut mourir, disait Thierry Roland. Bon, certes c’est une rencontre qui émeut, mais nombre de participants sont là pour une découverte de la mycologie, pas pour perdre la vie ! Ressaisissons-nous, que diable !
Il n’est si bonne compagnie qui ne se quitte, dit-on. L’heure est déjà venue de briser la communauté de l’anneau, de rentrer chez soi digérer cette aventure, de laisser peu à peu le réel reprendre sa place après cette excursion aux pays des merveilles. On peine à croire qu’on a passé trois heures pleines à courir après le champignon ! Quand on aime, les minutes puis les heures s’enchainent sans même qu’on y prête attention.
Enfin voilà. Encore une sortie agréable et de belles rencontres. Merci Cyril, merci Etienne !
(Photos Frédéric Della Giusta, Nathalie Volevatch, Frédéric Suffert & Étienne Varney)